Le paysage d’automne est accompli

C’est une lettre venue de l’étranger, rédigée par une jeune étudiante suédoise. La langue française y est dans l’ensemble très bien maîtrisée, avec quelques petites fautes de syntaxe ici et là. Mais soudain saute aux yeux une phrase qui ne se dit pas chez nous : « Devant ma fenêtre, le paysage d’automne est accompli. » C’est tout à coup comme une musique différente, profondément émouvante, comme toutes les mélodies qui conduisent juste à côté de l’endroit où on pensait qu’elles allaient nous mener. Bien sûr, il s’agit de la traduction d’un mot suédois, qu’un autre mot français aurait peut-être approché davantage. Mais lequel ? On n’a pas envie de chercher, parce que dans son étrangeté « accompli » est parfait ici. Plus que parfait. Il porte en lui un regard neuf. Il y a sans doute l’idée de plénitude. Un moment fragile : la perfection du paysage d’automne, de la lumière molle et des fruits doux, un peu de bleu, beaucoup de roux. Sans doute. Mais peut-être « accompli » veut-il recouvrir aussi une autre fragilité, la sensation que tout est bien fini, que l’hiver peut arriver. En Suède le soir doit tomber si tôt – la lettre est datée de la mi-novembre. La jeune étudiante a-t-elle eu recours à un dictionnaire des synonymes ? Y a-t-il en suédois un mot qui exprime à la fois le début d’une petite mort et la sérénité triomphale d’un accomplissement ? Peu importe. La phrase est en français, à l’encre bleu marine, avec une écriture assez large et ferme sur le papier mince. Les mots disent ce qu’ils veulent dire puisqu’ils sont là. Ils ont ce pouvoir mêlé de bonheur et de résignation, de satisfaction sereine et de défaite consentie.

Ce que l’autre a vraiment voulu dire ne compte pas. Ce qu’il a dit nous appartient, bien loin de la Suède, et tant mieux si l’on s’invente une autre histoire, une atmosphère décalée. C’est bien, si l’idée vient du froid. Mais si elle vient de nous, d’une approximation que nous menons à notre guise, c’est encore mieux. Les mots juste à côté refont le monde. Devant ma fenêtre, le paysage d’automne est accompli.